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FICHE TECHNIQUE : Titre français : Tel père, tel fils Réalisation :
Hirokazu Koreeda
Nationalité : Japonais
Durée : 130 min
Dates de sortie 25 décembre 2013 (France)
Prix du jury au Festival de Cannes 2013
Lien Internet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

POUR ALLER PLUS LOIN : Xavier Lacroix, Passeurs de vie, Essai sur la paternité, Bayard 2004.

« Tel père, tel fils » / De fils de Dieu à fils de Joseph …

Questionnement et délicatesse

Si les questions de paternité, de transmission, d’hérédité, de liens familiaux (comme la famille universelle hors sang et hors sol de Michel Serres) et le débat entre l’inné et l’acquis vous intéressent, le film de Hirokazu Kore-Eda sera une source de réflexion. Tout en nuances et en touches, le réalisateur nippon s’interroge poétiquement, interrogeant le spectateur à son tour, sans lui répondre, laissant sourdre la réflexion personnelle et le questionnement sur ce sujet délicat et si actuel de la paternité : comment devient-on père ? Quand se reconnait-on père ? Qui est mon fils ?
C’est en cela que ce film doux, subtil et émouvant à la fois est une réussite, car il ne tombe jamais ni dans le pathos, l’idéologie ou le jugement.
Le film se laisse regarder surtout pour sa poésie, il n’est pas partisan. La délicatesse des plans et du regard du réalisateur, l’interprétation irréprochable des jeunes acteurs, l’intelligence fine des deux mères contrebalançant le drame intérieur que vit le père, donnent cœur à cette histoire.
Hirokazu Kore-Eda, père depuis 2008, confie sa quête personnelle : « Je vais sans doute continuer à aborder la paternité dans mes prochains films jusqu’à ce que j’en comprenne les raisons profondes. »

Profondeur et richesse

Voilà le mot « profond » qui convient à ce film. Alors qu’un Étienne Chatiliez, en son temps, abordait le même sujet d’échange de bébés à la maternité et les différences d’origine sociale (La vie est un long fleuve tranquille,1988) dans l’anecdotique et le comique grinçant, ici, Hirokazu Kore-Eda, à la manière de courtes sentences, propose aux spectateurs une réflexion plus sensible. Par touches légères, au moyen d’un panel de courtes répliques de chacun des protagonistes concernés directement ou non par l’affaire (les pères, les mères, les grand-parents, les voisins, les avocats, le personnel de l’hôpital), le réalisateur cherche et fait chercher.
Chacun de ces avis personnels est lourd de sens et de conséquences. Il reste au spectateur la possibilité de laisser résonner la multiplicité des points de vue et de les réunir en un seul éventail d’une pensée systémique où l’on doit tout tenir : et l’intérêt des enfants, celui des parents et celui de la famille, voire de la société garante de ce lien invisible entre l’enfant et son père.

Six ans, six mois

Il faut à nos héros adultes, quelques heures pour concevoir et mettre au monde leur fils, six ans pour l’élever, et le réalisateur leur donne six mois pour choisir ou re-choisir leur enfant. Ainsi, le film en éphéméride laisse s’écouler les mois et les saisons, c’est-à-dire une toute petite demi-année scolaire qui devra gommer ou conforter les liens intimes tissés entre la famille et leur enfant.

Le cerf-volant

Chaque image est riche de sens caché et une lecture symbolique des plans du film pourrait être faite, mais je garde seulement l’image récurrente du cerf-volant qui pourrait être une clef d’interprétation de ce film, me risquant à une lecture « croyante » (hors du propos du réalisateur).
Dans le film, il est fait mention plusieurs fois du cerf-volant, jeu entre les pères et leurs fils. Il semble important et irremplaçable dans l’imaginaire collectif japonais qu’un père passe du temps avec son fils pour construire et faire voler ensemble son cerf-volant (ce qui est affirmé au tout début du film lors de la sélection à l’école élitiste pour la famille Nonomiya, dans les souvenirs d’enfance de Yudai Saiki et dans les recommandations que ce dernier fait à Ryota Nonomiya à l’échange des enfants Keita et Ryusei).
Or, le cerf-volant emporté par le vent, est explicitement le lien entre le ciel et la terre, d’où un possible rapprochement entre une paternité de chair et de sang et une paternité transcendante. Il semblerait ici, qu’un père n’est père que lorsque détaché des liens de l’engendrement, il relie son fils au ciel, en quelque sorte le donne au ciel.
La grande dégringolade (perte du fils, perte du travail, perte des illusions) du père auto-centré, ambitieux et autoritaire qu’est Ryota Nonomiya au début du film, est alors pour lui l’occasion d’une ouverture de cœur. Il va devoir se laisser choisir comme père et non plus imposer sa loi de demi-dieu. Il devra entrer à la manière d’un saint Joseph dans une paternité offerte et responsable pour un fils, un autre que lui-même qui ne lui appartient pas, sur lequel il n’a aucun droit mais une obligation de bienveillance et d’amour … simplement parce que celui-ci l’a choisi ou lui a été confié.

Conclusion bouleversante sur le don et l’hospitalité du petit, qui laisse les deux familles ouvertes à l’accueil des uns des autres et qui peut nous aider à revisiter nos propres relations filiales, parentales ainsi que tous nos lieux de transmissions (catéchèse, enseignement) dans lesquels nous vivons.

Sr Nathalie, CSJ communauté de Mechref, 14 février 2015

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