>>> Accueil > L'actualité me parle... > Donne-moi la Sagesse…

 

 

 

 

 

 

Donne-moi la Sagesse…

De grandes avancées ont été réalisées dans le domaine des neurosciences et nous avons tout lieu de nous en réjouir ! Il est vrai que depuis quelques décennies, les progrès sont spectaculaires et force l’admiration. En effet, beaucoup de nos découvertes sont directement appliquées à la correction d’un handicap. La plupart des maladies neurodégénératives, psychiatriques et les déficiences sensorielles bénéficient largement de ces découvertes… En tant que psychomotricienne, je suis particulièrement attentive et sensible à ces améliorations touchant très concrètement la qualité de la vie de tant de personnes malades et handicapées. C’est vraiment fascinant de prendre conscience qu’une objectivation des activités cérébrales est possible au moyen de l’imagerie médicale et ce, pour en améliorer le fonctionnement. Mais voilà, comme pour toute découverte humaine, l’application que nous en faisons est pour le meilleur et pour le pire !

Outre les enjeux scientifiques et médicaux, le développement des neurosciences représente aussi des enjeux non négligeables. Les découvertes scientifiques et leurs applications vont beaucoup plus vite que la réflexion éthique, sociétale et juridique qu’elles impliquent. Nous ne pouvons pas développer autant de capacités à agir sur le cerveau d’un être humain et faire l’économie d’une réflexion tout aussi poussée sur les conséquences de nos actes.

Actuellement, nous n’hésitons pas à proposer ces améliorations aux personnes valides, ayant toutes leurs facultés mentales, motrices et intellectuelles. Certes, ce n’est pas très nouveau ; nous avons tous vu l’arrivée de ces produits divers proposés aux lycéens et étudiants pour améliorer leurs facultés à la veille d’un examen ou d’un concours ; allons-nous accepter que notre jeunesse se drogue aux amphétamines avant une épreuve, que des enfants jugés trop actifs prennent de la Ritaline et que des personnes sorties de dépression restent sous Prozac ? Peut-être allons-nous beaucoup trop loin…

Certes, chercher à doper son cerveau n’est pas nouveau ! D’où l’usage de diverses drogues : café, alcool, médicaments… pourtant, il me semble bien opportun d’entendre et de se laisser interpeller par la mise en garde du CNE (Conseil National d’Ethique). Il nous appelle à la plus grande prudence parce que nous jouons avec le feu. Des essais ont été réalisés avec des pilotes de l’armée afin d’augmenter leur concentration et de diminuer leur compassion pour appuyer sur le bouton, la détente qui tue.

Nous parlons maintenant d’ « homme augmenté » ; le CNE a choisi de parler de « neuro-amélioration » de l’être humain. Cette fois, nous ne sommes plus dans l’amélioration d’une qualité de vie de personnes malades et handicapées pour combler au mieux leurs déficits, mais dans l’amélioration des performances de personnes déjà performantes. Notre perspective n’est plus de combler un écart, mais dans son augmentation au risque de déplacer totalement la ligne de démarcation entre ce que nous jugerions acceptable et ce que nous étiquetterions de pathologique. Je reprends ici à mon compte les craintes énoncées cette semaine par le CNE. Elles me semblent pleinement justifiées. Deviendrait pathologique la norme actuelle de l’être humain dans son fonctionnement naturel et deviendrait « normal » celui qui pourrait bénéficier de drogues dopant ses possibilités. Regardons ce qui se passe dans certains domaines militaires, sportifs de haut niveau, intellectuel, artistique… Voulons-nous vraiment généraliser la pratique ?

Qu’en serait-il des personnes malades et handicapées ? Peut-être répondrions-nous hâtivement par toutes nos avancées de diagnostic prénatal et la banalisation de l’avortement devenu un droit… un « homme augmenté », une fiction ? Non. Nous avons un antécédent dans l’histoire proche, la détermination à « créer un sur-homme », un « homme parfait ». Nous en avons souffert ; nous l’avons condamné… et nous reprendrions ce rêve à notre compte… ce rêve, ou ce cauchemar !

Que voulons-nous privilégier, le culte de la performance au mépris des plus faibles ou l’éradication des plus faibles au profit d’une toute-puissance au risque de nous auto-détruire ?

« Si leur puissance et leur activité les ont frappés d’admiration,
Qu’ils en déduisent combien est plus puissant Celui qui les a formés,
car la grandeur et la beauté des créatures font, par analogie,
contempler leur Auteur. »
Livre de la Sagesse (13,4-5)

Sr Florence, communauté de St Martin Belle-Roche, le 15 février 2014

© Copyright Carmélites de Saint Joseph - Contactez-nous