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Droit de vie à la fragilité

Quel être doué de raison, parmi nous, déciderait subitement de refuser de marcher, bouger, aller de l’avant et arrêterait l’horloge pour stopper l’écoulement du temps ? Qui d’entre nous, après avoir salué le lever du jour, déciderait l’immobilisme total dans l’espace et dans le temps ? Seul un mort entre dans un tel immobilisme au moment même où il quitte la vie, au-moins à vues humaines. La vie s’inscrit dans le mouvement et le mouvement ne s’inscrit lui-même que dans l’espace et le temps. Alors, jusqu’à preuve du contraire, nous sommes vivants et nous avons à le rester jusqu’au terme de notre existence humaine. Je m’interroge beaucoup et suis très gênée par le souhait de notre société à vouloir légiférer sur la « sédation terminale ».

Mes sept années de travail d’accompagnement humain et spirituel en unité de soins palliatifs m’ont montré la capacité que nous avons à accompagner les personnes dans leur fin de vie tout en leur permettant d’être vivantes jusqu’au bout. J’ai été témoin de cheminements personnels extraordinaires dans l’accomplissement d’une vie, d’une existence extrêmement digne et remarquable, dans l’acceptation de sa vulnérabilité ; il m’a semblé découvrir que là, dans notre vulnérabilité acceptée et assumée, résidait notre force, notre spécificité humaine, notre dignité humaine et personnelle. J’ai eu la chance de travailler dans des hôpitaux et des services différents, ce qui a amplement enrichi mon expérience d’accompagnement. J’ai eu aussi la très grande tristesse de commencer à accompagner des personnes et de voir subitement certaines de ces personnes plongées en sédation profonde dès l’aggravation de la maladie. Comment pouvons-nous prendre l’initiative d’arrêter un chemin, de « voler » la mort de quelqu’un, lui interdisant son accomplissement humain en le coupant de toute relation au monde, aux autres, à lui-même ?

Plus que jamais, notre société fuit la mort ; elle la gomme de l’existence. La loi Léonetti, malheureusement trop mal connue, permettait une sédation. Cette dernière peut être « administrée en phase terminale d’une maladie » pour soulager un malade qui présente une situation de souffrance qu’il juge insoutenable, quelles qu’en soient les conséquences. Nous sommes déjà outillés ! L’objectif est bien de soulager le patient et répond donc parfaitement aux craintes de certains qui se projettent déjà dans leur fin de vie. Aujourd’hui, nous sommes en train de passer d’une logique d’accompagnement des personnes en fin de vie à une logique de gestion de la mort. Nous voulons une loi permettant une sédation irréversible avec arrêt de toute alimentation et hydratation. C’est pour moi, le comble de la maltraitance… et nous osons dire qu’il ne s’agit pas d’euthanasie parce que la mort n’est pas immédiate ! Que je sache, nous ne laissons pas notre animal domestique mourir de faim et de soif ; nous ne le laissons pas mourir à petit feu, mais nous croyons pouvoir infliger un tel traitement à un être humain.

Pour moi, il s’agit d’une vaste hypocrisie au sens propre du terme. Nous avons perdu notre bon sens, notre capacité à bien juger de la situation. Cela m’effraie. C’est l’abandon d’une exigence éthique incontournable pour l’homme du XXI° siècle : celle d’accompagner l’homme, notre semblable, dans sa fin de vie, lui permettre d’être vivant jusqu’au bout, découvrant ensemble ce que notre vulnérabilité recèle de force et de dignité. Nous briserions sans vergogne l’un des piliers de la vie en société : « Tu ne tueras point ».

Comprenez bien qu’en aucun cas je ne souhaite faire l’éloge de la souffrance ; elle est un mal et nous devons la combattre, mais ne nous trompons pas de cible ! C’est bien la souffrance qu’il nous faut combattre et non les personnes souffrantes. Refusons d’accepter des facilités qui nous sont présentées avec des glissements sémantiques ; altérée par les émotions à répétitions de la concurrence médiatique, notre conscience risque l’anesthésie complète. Donner la mort semble être l’équivalent de laisser mourir… Interrompre une grossesse devient l’expression d’une liberté… L’égalité prend le pas sur l’équité… Pouvons-nous accepter, en vérité, une telle perversion au pays des droits de l’homme ? Pour ma part, non. Apprenons que notre dignité se dit tout spécialement au cœur de la fragilité reconnue et partagée.

Sr Florence, C.S.J. St Martin Belle Rochele le 15 mars 2015

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