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Ratatouille

( Film d'animation réalisé par Brad Bird, Walt Disney Studios Pixar, Août 2007 )

Quel intérêt le dernier Pixar peut-il offrir à une carmélite ? Pourquoi me suis-je sentie profondément rejointe par l’histoire de Rémi, le petit rat qui voulait faire de la cuisine comme les hommes ? C’est qu’au-delà du film d’animation et de divertissement, « Ratatouille », nous parle de naissance, de croissance et de libération (ancrage dans notre réalité humaine, spirituelle et visée évangélique) et que celles-ci ne sont possibles que par la transmission, l’amitié et la part d’audace et de créativité que l’on met en œuvre (l’expérience artistique). Être sérieuse tout en s’amusant : belle pédagogie. C’est bien de cela que nous parle ce petit bijou d’animation numérique, plein de rebondissements et de suspens mêlant scènes de cascades, scènes intimistes et scènes d’humour.


La naissance, la croissance, le chemin de liberté

L'envol :

Rémi vit dans sa tribu, sous le joug d’un père chef de clan. Ses premières transgressions contre l’autorité paternelle, pour réaliser ces premières expériences gustatives, provoqueront l’exil de toute la famille vers la ville et le pousseront à sa première envolée symbolique – très belle image du rat lourdaud battant des ailes, coincé sous le pesant livre de cuisine. La belle métaphore de la première sortie du nid se terminera en traversée de la mer. Envolée symbolique et récurrente que l’on retrouve, une deuxième fois, à la fin du film. Le rat est devenu habile papillon, tenant entre ses dents les deux feuilles du testament précieux, et poursuivi par le méchant Skinner, il survole et s’envole sur les bords de Seine. Belmondo ne faisait pas mieux ! Ça y est : je vole !

La mise au monde :

Ce film invite aussi à sortir de la matrice maternelle : symboliquement par la longue sortie des égouts, long accouchement, pour la mise au monde de Rémi. Il y a aussi la délivrance du bocal en verre et la libération du coffre de la voiture. Explicitement, par son allusion négative, Colette se moque du jeune apprenti Linguini qui est « resté dans les fourneaux et les tabliers de sa maman ». Mais celui qui représente au mieux ce repliement fœtal et mortifère, c’est Anton Ego, le critique culinaire, dont l’appartement vu en plan, a la forme d’un cercueil. Son patronyme « Ego » ne signifie t-il pas le nombrilisme de son origine ? C’est donc un enterré tout vivant, prisonnier du passé et nostalgique de son enfance goûteuse. Le miracle de sa résurrection à lui, c’est d’avoir pu retrouver le goût perdu de la délicieuse ratatouille de sa maman et de sortir de lui-même, en se laissant enchanter par la nouveauté et l’exclusivité, en croyant en l’avenir.

La liberté :

Ce qui m’émeut chez ce petit rat revenu de loin, c’est son petit côté de « ressuscité ». Il a appris à lire en secret. Il se tient debout contrairement aux autres rats de la meute grouillant à quatre pattes. Lui, a hiérarchisé les valeurs : on ne peut marcher sur les mains et toucher des aliments que l’on porte ensuite à sa bouche. Reconnaissant de son don, sa passion lui fait briser tous les carcans, les embûches, les « a priori », les conventions, les phobies, et anéantir tous ses ennemis. Comme dans tous les romans initiatiques, il passe par des moments de découragement, de peur et par des deuils … mais toujours il repart. Par lui passe la vie et il la transmet sans mesure : le bonheur du clan réconcilié, l’amour entre Colette et Linguini, la résurrection d’Anton Ego, la création du bistrot à Montmartre qui représente la communauté idéale, celle de la fête, celle de la réconciliation, celle de l’accueil du humble. Quelle traversée ! Avec lui, il nous est permis de croire en tous nos rêves … le rat « homme libre » est devenu cuisinier. Lorsque j’écris « homme libre », je vais plus loin qu’une simple lecture anthropomorphique. J’ai sous les yeux une créature en processus d’une véritable humanisation (comprenant la notion de personne et de communauté). Il y a dans cette histoire des hommes et des rats (pas seulement des animaux comme dans « Bambi ») nous quittons avec « Ratatouille » l’univers un peu niais des animaux gentils de Walt Disney. J’aimerais transposer le leitmotiv de Gusteau en : « tout le monde est appelé à devenir homme, et tout homme est appelé à devenir saint ! »


La transmission et l'apprentissage

Parce que les différentes approches de la transmission rejoignent mes préoccupations personnelles de transmission de la foi, j’ai décortiqué les modes d’apprentissage du film avec mes lunettes de catéchiste.

Tout d’abord la transmission génétique. Grâce à un cheveu du feu Gusteau resté dans sa toque de grand chef, l’analyse génétique reconnaîtra la paternité du cuisinier au jeune Linguini et authentifiera la lettre testamentaire de la défunte mère. Mais le génie du père ne s’est malheureusement pas transmis génétiquement à son maladroit de fils. Toutefois, il héritera du restaurant, de la réputation de son père ainsi que de toute sa fortune. C’est l’héritage matériel.

Ce film nous parle aussi de la nécessaire transmission des valeurs. C’est dans le clan, la tribu de rats, que la solidarité, la fraternité et l’amitié s’apprennent, mais malheureusement elles ne riment pas avec liberté. Ici, chacun s’affaire et obéit aux ordres du chef Django, le père de Rémi. Ici, ni création, ni visage féminin (pas de mère, pas de sœur, pas de petite amie), ni altérité. On de doit pas sortir du lot. L’individualité, la singularité sont niées. Les qualités sont reconnues et mises au service du bien commun. Le nez de Rémi ne lui sert donc pas à exprimer son talent culinaire, mais sert de détecteur de poison. Il empêche ses frères de mourir, mais il ne leur donne pas vraiment la vie. Triste avenir pour lui. Nous sommes dans la logique de la lignée et de la perpétuation.

La transmission se fait également par les média. C’est en lisant le livre de cuisine de son maître (Bible illustrée) et en regardant à la télévision ses émissions culinaires (tout cela en cachette des rats et des hommes) que le talent de Rémi va lui être révélé, permettant le surgissement de son être. Il va pouvoir sortir de sa condition de rat maudit. Gusteau, vrai maître, ne garde pas son talent pour lui-même, mais il désire transmettre et ouvrir son message à l’universel : « Tout le monde peut … », avec lui plus de privilège. Il faut démocratiser la grande cuisine. Quelle bonne nouvelle !
Mais « pour tous », ne signifie pas vulgariser. La création ne veut pas dire « faire n’importe quoi ». Quand l’esprit de l’homme est motivé par l’appât du gain, il trahit l’idée première « tout le monde peut cuisiner ». C’est le piège dans lequel est tombé le nouveau chef Skinner, qui se sert du nom Gusteau pour diffuser de la « mal bouffe » de supermarché. L’héritage est trahi.

Colette, quant à elle - la parfaite adepte de Gusteau -, utilise la méthode des fiches. Responsable de la formation de Linguini, passé des ordures aux casseroles, dans l’illustre cuisine parisienne, la méthode consiste à suivre la recette à la lettre et surtout de s’interdire toutes variations, adaptations, interprétations et fantaisies. Nous sommes dans le schéma de la reproduction du modèle idéal, dans la logique du clonage, de la répétition. La seule création reconnue est celle de l’original. Il faudra beaucoup de ruse et d’astuce de la part de Rémi pour oser imposer l’autonomie, la liberté … dans la fidélité.

Même si le subterfuge nous fascine et nous donne de passer des moments hilarants quand Rémi, le rat caché sous la toque de l’apprenti Linguini, le guide en lui tirant les cheveux, et que ses gestes commandent comme par magie les membres du cuisinier : le duo marionnette et marionnettiste est encore un leurre ! La dépendance de Linguini est une prison, et on le préfère, libéré, au service en salle, slalomant entre les tables du restaurant avec ses rollers.

Les avis des spectateurs sont partagés à propos de la petite voix intérieure, et le réalisateur entretient le flou. Qui est ce drôle de Gusteau entre fantôme et petit génie, genre de Jimminy Cricket hallucinatoire, personnage qui prend vie sur les enseignes lumineuses, les dessins publicitaires, les images du livre de cuisine, surgissant – altérité salvatrice - dans les moments de désespoir. Figure protectrice et paternelle, chaque fois, il remet Rémi sur le chemin du risque, de l’audace, le forçant au chemin de foi et d’espérance.

La pédagogie la plus efficace tient en deux plans répartis au début et à la fin du film. C’est la transmission de l’expérience. Celle qui permet à l’apprenti de vivre de sa place, en se l’appropriant, l’expérience fondatrice. C’est celle de Rémi à son frère Émile.
Rémi croque par hasard un bout de fromage. Soudain fond noir et il nous est traduit, visuellement, le choc gustatif par des petites étincelles de couleurs. Rémi croque dans un fruit, même découverte gourmande. Puis Rémi associe les deux goûts, salé et sucré. L’alchimie provoque une création inédite. Fond noir et cette fois-ci : feux d’artifice ! A la fin du film, Rémi pour initier son frère aux saveurs subtiles et exquises, ne s’embarrasse pas de discours, mais il lui fait revivre, cette même expérience et nous découvrons les mêmes étincelles devant l’inédit, puis les mêmes feux d’artifice d’émerveillement. Il se passe ici quelque chose de l’ordre d’une révélation intérieure. Une expérience sensorielle qui ne peut être que personnelle.

Ainsi, on aurait beau me mettre entre les mains les plus beaux livres de cuisine et sous les plus yeux les plus belles émissions culinaires, si je ne goûte pas, cela ne me sert à rien … Comme Rémi, devenons, pour nos enfants, de véritables passeurs de foi pour plus de vie, de création, de communion … Tous à vos fourneaux !

( Sr Nathalie Le Gac, Carmélite de St Joseph )


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