>>> Aventure intérieure> Paroles humaines, Parole de Dieu > La miséricorde dans l’évangile selon st Luc >12

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

12 Les deux fils perdus: Lc 15, 11-32

La parabole des deux fils vient comme illustrer et renforcer l’appel à la joie qui a déjà retentie dans les deux paraboles du chapitre 15. Sans être identiques, les réactions de fils cadet comme du fils aîné sont du même ordre. Ils sont tous les deux perdus, mal situés dans leur relation au père et sans relation entre eux.

On a tendance à voir dans cette parabole le retour d’un pécheur repenti et la colère d’un jaloux. Or Jésus ne parle pas de péché. L’insistance porte sur la joie des retrouvailles. Aucun des deux fils n’est innocent. Tous deux sont pétris de malentendus, d’interprétations gauchies de la réalité. Tous deux ont besoin de convertir leur regard sur eux-mêmes, sur leur père, sur la vie en générale.

Le cadet demande et reçoit sa part d’héritage (v12). L’aîné n’est pas consulté. Muet en apparence son ressentiment ne s’exprime que vers la fin du texte : « jamais tu ne m'as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis » (v29). Le cadet a demandé et a reçu. L’aîné n’ayant rien demandé, n’a pas le sentiment d’avoir reçu. Or tous deux ont reçu :  « le père fit le partage de ses biens. » (v12), mais ce n’est peut-être pas cela qu’ils attendaient.

Lorsque le cadet demande à son père sa part d’héritage, il demande sa part d’être, d’existence ; et son père partage son bien, ses moyens d’existence. Lorsqu’il passe aux versets 13 à 16 de l’expérience d’abondance à celle du manque, il retrouve son sentiment de ne pas avoir, lui qui croyait posséder. Sa réflexion ne fait que l’enfoncer d’avantage dans ce sentiment de ne pas être : il glisse du statut de fils à celui d’ouvrier.

Le sentiment d’exclusion de l’aîné émerge aux versets 25-27. Pour la fête, on ne l’a ni consulté ni attendu. On s’amuse pendant que, lui, travaille ! Ce qu’il réplique à son père (v29) l’enferme d’avantage dans ce sentiment de ne pas être : il glisse du statut de fils à celui d’esclave.

L’accueil du père qui va à la rencontre du cadet, qui sort à la rencontre de l’aîné, tente de restaurer chacun dans sa dignité de fils par cette invitation à entrer dans sa joie. L’histoire ne dit pas si les fils répondent à l’invitation. Comme bien souvent la parabole reste ouverte pour que l’auditeur, le lecteur puisse y entrer et apporter sa réponse.

Le pivot de l’histoire tourne autour du veau gras qui sert de cristallisations aux émotions des uns et des autres, mais en fait, tout le monde se fiche de ce veau gras ! Il devient une chose pour dire le manque, non de possessions, mais d’être. A travers le veau gras, le père (v23) exprime sa joie d’avoir retrouvé ce qu’il avait perdu : sa relation à son fils cadet. Dans la bouche du serviteur, (v22) interrogé par l’aîné, la joie a disparu, le geste prend l’allure d’un sacrifice de louange. Dans la bouche de l’aîné (v30), le veau gras devient une accusation, une injustice.

Dieu n’est pas mentionné dans la parabole. Sa présence se révèle non dans l’attitude du père mais dans son exclamation : « Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. » (v24). La forme passive révèle le retour du fils et la relation père/fils restaurée comme un don de Dieu. Si l’existence des fils est construite sur ce qu’ils possèdent ou pas, celle du père tend vers la dépossession, la vulnérabilité. C’est par ce petit espace que le père ne comble pas, que la joie peut s’infiltrer dans sa vie et rejaillir en invitation sur autrui.

Ce petit espace, cette distance à laquelle le père consent, l’ouvre à la compassion ; La distance est sans cesse mentionnée là où l’évangile parle de compassion. Car on ne peut convertir son regard, voir à partir de notre vulnérabilité commune qu’en prenant un peu de distance. La compassion du père jaillit entre les deux mea culpa du cadet (v18-19 et 21) : le père « fut saisi de pitié »(v20). La compassion du père jaillit également entre les deux comportements accusateurs de l’aîné (v28 et 29) : « Son père, qui était sorti, le suppliait» (v28).

« Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi »(v31). Par ces mots, le père prolonge les gestes qu’il a eu envers le cadet. A la quête de l’avoir, le père oppose l’absolue de la relation. L’existence ne se possède pas, elle se partage, delà nait la joie. Dans le Grec, les verbes de la joie sont au passif qui signe la trace de Dieu et suggère que le père a été pris par la joie comme il a été pris aux entrailles.

 

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