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Enfance spirituelle et espérance selon Thérèse de Lisieux :

La petite voie, l'abandon thérésien, proposés dans le Manuscrit C (commencé en Juin 1897 et inachevé), présentent ce que l'on a appelé la voie d'enfance spirituelle comme expérience de dépossession : ce thème de la pauvreté consentie et désirée constitue le coeur de la doctrine de la carmélite de Lisieux. Thérèse cherche par-dessus tout la pauvreté parce qu'elle ne veut, en effet, rien d'autre qu'accéder à la vérité de son être, et exister, dans l'Amour, selon cette vérité. Thérèse va donc choisir librement, et toujours davantage, la non-possession. Cette dépossession est exercice de la liberté. Pour Thérèse, l'Absolu de Dieu devient le seul souci. Son attention à l'absolu de l'Amour ne la soustrait pas au monde mais subordonne toute autre présence à la présence de Dieu. Thérèse est entrée dans la filialité. Elle nous révèle son identité véritable : une femme décentrée, dessaisie d'elle-même, capable d'habiter le monde dans la paix, au cœur même de l’épreuve.

A l'opposé de la résignation ou du fatalisme ce désir de conformité est engagement dynamique de la liberté de la personne dans une option amoureuse et fidèle toujours recommencée. La conformité ne signifie pas la fusion ou la perte de soi en Dieu mais l'union de deux libertés en alliance, si l'on sauvegarde l'absolue gratuité et la primauté de la liberté de Dieu qui appelle. Une fois entrés dans le jeu de la réponse nous sommes en pleine responsabilité, déployant dans la relation, sans contrainte ni servilité, toute la capacité de nos puissances spirituelles restaurées par la grâce. A l'opposé de la passivité pure, l'abandon thérésien se joue dans des oeuvres d'amour, dans une offrande, une oblation continue qui cherche sans se lasser à se concrétiser. Confiance et abandon se montrent indissociables et parfois se confondent dans la pensée de Thérèse : ils sont, l'un et l'autre, qualifiés du même caractère d'audace, de témérité, d'absence de crainte : ils prennent source dans un amour fiable.

Ainsi peut-elle confesser, au moment de la mort : "Je ne me repens pas de m'être livrée à l'Amour."

Une expérience évangélique de dépossession

Thérèse va laisser, tout au long de sa vie, beaucoup de projets et de désirs derrière elle. Dans l'expérience de l'espace vide, suspendue dans l’épreuve de la nuit, elle fait face au Dieu absolu, dans la solitude : elle n'a plus rien et ne peut s'emparer de rien. Elle ne peut exercer aucune maîtrise : elle est à nu. Et la vigilance dans laquelle elle maintient son acte de présence la rend plus réceptive encore au don gratuit qu'elle peut uniquement attendre dans la patience. On peut dire qu'elle est pauvre et qu'elle le sera définitivement.

La pauvreté d’une femme libre

Thérèse ne possède pas les signes actuels de la présence de Dieu. Elle reçoit son avenir comme une promesse : tant que la promesse ne sera pas accomplie, elle sait – et elle le dit de maintes façons – qu'elle ne pourra apparaître que comme l'inachevée.

Ainsi en est-il pour nous : nous pouvons tous entrer en pauvreté évangélique si nous acceptons que l'expérience de nos limites nous dessaisisse radicalement de toute forme d’avoir. Nous connaissons alors que le don absolu de Dieu se déploie dans la faiblesse, que nous portons ce trésor en des vases d’argile (cf. 2 Cor 4,7). Nous pouvons alors dire en vérité, selon la parole bien connue de Thérèse d’Avila, que "Dieu seul suffit (Solo Dios basta !)" : Il suffit quand toute suffisance en nous consent à céder le pas au don et à la folie d’un amour dont nous savons d’expérience qu’il ne se reprend jamais.

Dans l'espérance sera votre force

La Lettre 197 à Sœur Marie du Sacré Coeur, grand document sur la pauvreté spirituelle, met en lumière le mouvement de consentement du coeur pauvre : "Il faut consentir à rester toujours pauvre et sans force". Cette mise en perspective de la pauvreté spirituelle est liée pour Thérèse, comme pour la tradition carmélitaine tout entière, à la croissance dans l'espérance. Elle appelle cela "jouer à la banque de l'amour" et l'explicite ainsi : "Je tâche de ne plus m'occuper de moi-même en rien, et ce que Jésus daigne opérer en mon âme, je le lui abandonne" (LT 413). Gabriel Marcel a bien formulé cela dans sa Structure de l'espérance : "Il faut ajouter que la lumière qui jaillit de l'espérance ne saurait être présomptueuse ; elle garde un caractère ingénu et comme limpide ; il est certain qu'elle est très étroitement reliée à ce qu'on a appelé l'esprit d'enfance, et par là s'oppose absolument à toute sagesse soit désabusée, soit calculatrice qui se fonde sur un certain ensemble d'expériences répertoriées. C'est en ce sens que l'espérance est intrépide, qu'elle est l'intrépidité même (Dieu vivant, 19, 1951, p.77).

L'espérance de Thérèse s’enracine dans le consentement d’un cœur pauvre qui sait bien ne rien posséder, un cœur d’enfant qui se fie en l’amour promis.

Sr Frédérique Oltra, Carmélite de St Joseph

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