Renaissance
Comment passer sous silence les premières élections libres de Tunisie ? Suite aux résultats du scrutin, beaucoup d’inquiétude s’exprime, légitime, certes. La forte poussée de l’islam, y compris en Occident est une réalité : une majorité islamiste en Tunisie, la charia annoncée en Lybie, l’islam est aux portes de l’Europe... Pourtant, en ce qui concerne la Tunisie, je souhaite miser sur l’espérance !
Neuf mois après l’embrasement révolutionnaire, le temps d’élections libres est venu; neuf mois, le temps d’un accouchement. Dernièrement, en pleine campagne électorale, la diffusion du film Persepolis à la télévision tunisienne déclenchait la colère de musulmans salafistes aussi radicaux que minoritaires. Des violences laissaient présager un scénario catastrophe pour les élections avec une grande probabilité de dérapage de la part des partis qu’ils soient religieux ou laïcs. Pourtant la journée de vote s’est déroulée de façon pacifique et ordonnée, dans le calme et le respect les uns des autres ; les électeurs ont patienté dans les longues files d’attente jusqu’à afficher plus de 90 % de participation ! Reconnaissons que les Tunisiens peuvent en tirer de la fierté et nous donnent une belle leçon de civisme ! Où en sommes-nous dans notre vieille démocratie abstentionniste ? Que faisons-nous de notre liberté d’expression et de nos devoirs civiques ?
La cartographie politique qui se dessine offre une autre source d’espérance. Le peuple s’est prononcé, donnant une stature nationale à deux entités démocratiques faibles au départ : Ettakatol et CPR. Si Ennahda est majoritaire, il ne peut agir seul. La Tunisie échappe à la présence d’un parti hégémonique et dominant, ainsi qu’à une dangereuse bipolarité. Deux jours après le vote, Ennahda tendait la main aux formations laïques pour négocier un gouvernement d’unité nationale large. Il peut être préférable d’engager un long processus de démocratisation à partir d’un consensus multipartite que de balancer d’un extrême à l’autre au risque d’un durcissement radical de part et d’autre. .
Enfin, je voudrais saluer la position de Maya Jribi, secrétaire générale du parti démocrate progressiste (PDP), prenant acte de sa défaite dès le lendemain du scrutin : « Les tendances sont très claires…C’est la décision du peuple tunisien. Je m’incline devant ce choix. Je félicite ceux qui ont obtenu l’approbation du peuple tunisien ». Se rangeant dans le « camp de l’opposition », elle poursuivait : « Nous serons toujours là pour défendre une Tunisie moderne, prospère et modérée ». La maturité de cette femme force le respect ! A la première phase de la révolution en succède maintenant une deuxième : le long combat politique des négociations où chacun va apprendre à « faire avec » l’autre différent. Reste à espérer que chacun œuvre à la construction de l’Etat.
Ces germes d’espérance m’apparaissent essentiels ; ils pointent sur une certaine maturité humaine et politique des Tunisiens qui posent les bases nécessaires à l’ouverture de vraies discussions constitutionnelles. La Tunisie sera-t-elle le premier pays arabo-musulman où le pouvoir et la foi seraient séparés et où l’état de droit ne dépendrait plus de Dieu, mais du citoyen souverain ? Nos arrières petits-enfants pourront peut-être répondre à la question… Nous savons en effet que la création tout entière gémit dans les douleurs de l’enfantement ; la création sera libérée de l’esclavage de la corruption pour connaître la glorieuse liberté des enfants de Dieu (Rm 8, 22-23). Gardons l’espérance… L’Esprit veut en nous ce que le Père désire pour nous dans son dessein bienveillant et l’Esprit conduit tout homme de bonne volonté pour la construction d’un monde plus juste et plus fraternel. Puisse-t-il en être ainsi !
Sr Florence, Carmélite de St Joseph , 1er novembre 2011