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« Life of Pi »

Un film de Ang Lee, décembre 2012

« Qu'est-ce que l'homme pour que tu penses à lui, le fils d'un homme, que tu en prennes souci ? » (Ps 8,5). Le verset de ce psaume aurait pu introduire ce film puisqu’il s’agit, selon le narrateur du film et à l’ouïe de son épopée, d’entrer dans « une histoire qui va sûrement faire croire en Dieu ». Elle appelle, via la curiosité d’un écrivain canadien en mal d’inspiration (il vient de jeter à la poubelle son deuxième roman), au faire mémoire de Pi Patel, un homme au nom de piscine parisienne et d’origine indienne, unique survivant d’un naufrage … où il a vécu seul, défiant les anales de l’histoire maritime, en compagnie d’un tigre du Bengale d’âge adulte.

La vie de Pi est une véritable aventure, un voyage initiatique, une traversée (au sens propre comme au sens figuré), une véritable "odyssée" de deux heures (comme l’a traduit le titre français de ce film). Elle nous parle du passage du continent Indien au continent Américain, du passage de la vie d’enfant à la vie d’adulte, et de la transformation du tigre au chat. Nous sommes les témoins tenus en haleine, parfois inquiets, parfois émerveillés, d’un engendrement, cette fameuse renaissance ou naissance d’en-haut (Jn 3,3). Comme nous le fait comprendre un des derniers plans du film : un jeune homme est en train de naître, quittant la mer et les tempêtes, et quittant le tigre "Richard Parker". Sorti de l’eau, il est rendu à son humanité et à ses frères les hommes, sans force que ses larmes et le cri de celui qui vient au monde. Naître, grandir, choisir, passer, traverser les épreuves, aimer : voilà le large panel des invitations auxquelles, me semble-t-il, nous convie Ang Lee, le réalisateur de ce film qui a reçu à juste titre quatre Oscars 2013 : celui du meilleur réalisateur, de la meilleure photographie, des meilleurs effets visuels et de la meilleure musique.

La vie de Pi, c’est cette période de l’adolescence qui va se résumer au face à face de deux violences à dompter : celle d’un homme en devenir et celle d’un tigre sauvage. Tous deux sont prisonniers d’une dérisoire chaloupe de sauvetage, perdue au beau milieu de l’océan Pacifique, à la merci des éléments et … de la grâce de Dieu ! Car tout le film nous convoque à ces lancinants questionnements sur Dieu (sa présence ou son absence ? Son action ou son abandon ?), et sur la foi de l’homme (sa réponse crédule ou raisonnable ?). Notre héros a choisi toutes les religions, dans un désarmant syncrétisme : l'Hindouisme et ses trente trois millions de divinités, le Christianisme en la figure de Jésus et de l’amour universel, l’Islam pour le sentiment de sainteté et de fraternité, et enfin le Judaïsme par les cours sur la Kabbale qu’il enseignera adulte à l’université. Mais, au-delà de ce qui pourrait sembler une errance polythéiste ou une monolâtrie complaisante, son image de Dieu passera aussi au creuset de son aventure ; et du dieu multiple et violent c’est bien au Dieu intime et amoureux qu’il sera présenté, quand échoué sur le rivage, la joue sur le sable, enfin délivré, il dit : « Je croyais presser mon visage contre la joue de Dieu, je sentais que deux yeux souriaient de me voir là. »

De ce long périple, fort en émotion et conçu comme une longue révélation nourrie de l’imaginaire universel et du mythe biblique (on peut, d’ailleurs, s’amuser à découvrir quelques étapes de l’histoire du salut avec Adam, Noé, Abraham, Jonas, Moïse ou Élie), j’ai été touchée par le savoir faire narratif du réalisateur. Il nous offre, en fait, deux versions de l’histoire de Pi : une version administrative qui tient en quelques lignes sur un rapport d’assurance maritime, et une version onirique (celle racontée par Pi à l’écrivain et par le réalisateur aux spectateurs) qui nous entraîne dans un voyage symbolique. Dans la première version, les assureurs japonais et nous autres spectateurs, nous recevons la clef de compréhension flattant notre rigueur cartésienne mais l’histoire est trop brute et trop cruelle pour être entendue et pour que nous nous l’approprions. En revanche, les images et la relecture d’Ang Lee visitent notre propre inconscient collectif et nous font vivre à travers nos propres histoires, le relèvement de Pi. Elles n’ont de but que de nous montrer le voyage intérieur de chaque être humain, la quête de notre identité, vaincre la bête sauvage en nous pour que nous accédions au meilleur de nous-mêmes : un être libre, vrai, humble et aimant, relié à la nature, aux hommes et à l’invisible divin. Il nous appartient, alors de transformer nos drames en une « formidable histoire ».

Mon coup de cœur va à la beauté des plans cinématographiques, des images absolument sublimes, mêlant comme jamais la terre, le ciel et la mer, les animaux et l’homme, la lumière et la nuit. Des images sur-réelles au service d’une histoire symbolique qui nous plonge dans les questions existentielles de la mort et de la vie, de la traversée et du salut, de la violence et de la paix, de la solitude et de la fraternité.

Sr Nathalie Le Gac, CSJ. Saint Guilhem, le 28 mai 2013

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