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Le Caravage, "Appel de saint Mathieu" - Détail.

Cheminer en carême avec le "Messie discret" dans l’évangile de Matthieu. (Etape 1)

Par sœur Adeline Marc, Carmélite de St Joseph.

Matthieu 12, 14-21

Une fois sortis, les Pharisiens tinrent conseil contre Jésus, sur les moyens de le faire périr. L'ayant appris, Jésus se retira de là. Beaucoup le suivirent; il les guérit tous. Il leur commanda sévèrement de ne pas le faire connaître, afin que soit accompli ce qu'a dit le prophète Isaïe: "Voici mon serviteur que j'ai élu, mon Bien-aimé qu'il m'a plu de choisir, je mettrai mon Esprit sur lui, et il annoncera le droit aux nations. Il ne cherchera pas de querelles, il ne poussera pas de cris, on n'entendra pas sa voix sur les places. Il ne brisera pas le roseau froissé, il n'éteindra pas la mèche qui fume encore, jusqu'à ce qu'il ait conduit le droit à la victoire. En son nom les nations mettront leur espérance (Isaïe 42, 1-4)".

Le Caravage, "Appel de saint Mathieu".

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Pourquoi parler d’un "Messie discret" ?

La citation d’Isaïe 42,1-4 intervient de manière décisive dans l’ensemble des chapitres 11-12 de l’Evangile de Matthieu : elle dessine une figure, celle du Serviteur discret. Elle intervient pour déployer un sens nouveau de la question messianique dans l’ensemble de Matthieu 11-12. Elle nous propose, en tant que lecteurs de l’évangile, une compréhension nouvelle de l’identité messianique de Jésus et de sa reconnaissance. La question messianique traverse les deux chapitres. Elle est explicitement posée en 11,2-3 (par Jean-Baptiste) : "Es-tu Celui qui doit venir ou devons-nous en attendre une autre ?" ; et en 12,23 (par les foules) : "Celui-ci n’est-il pas le Fils de David ?". Ces chapitres nous confrontent à un questionnement sur l’identité de Jésus, et par suite, sur les modalités de sa reconnaissance et d’une décision à son endroit. Or le questionnement, en tant que tel, indique déjà deux choses. D’une part, il indique que l’identité de Jésus et sa reconnaissance ne sont pas évidentes : elles font question. D’autre part, il indique une ouverture possible à cette reconnaissance de l’identité messianique de Jésus, et souligne alors l’urgence d’une décision à prendre. Dans ce débat, Jésus lui-même prend la parole, et l’occupe largement. Mais ce qu’il dit renvoie ses interlocuteurs à un nécessaire discernement et se présente davantage comme un appel que comme un moment de révélation.

Une discrétion paradoxale

C’est dans ce cadre qu’intervient la citation d’Isaïe 42. Elle nous indique la figure d’un Messie discret, à travers le Serviteur qui « ne crie pas » et dont « on n’entend pas la voix », miséricordieux et doux, mais d’une discrétion paradoxale puisque sa mission est celle de l’annonce du jugement aux nations. En disant que la citation d’Isaïe 42 qui révèle cette figure du Messie est en train de s’accomplir, Matthieu nous fait comprendre que la discrétion est précisément l’un des traits auquel le Messie se donne à reconnaître. De plus, il indique, en citant plus largement Isaïe, que cette discrétion est une modalité de l’annonce. En suivant Matthieu, il faudrait donc dire que la discrétion se présente comme un « style » du Messie qui se donne à reconnaître en Jésus, dans le récit en cours. La discrétion du Serviteur, figure du Messie, serait à lire dans la discrétion de Jésus en Matthieu 11-12. On aurait alors affaire à une certaine « christologie » de la discrétion. La proposition se heurte pourtant à des difficultés. D’une part, on ne trouve à aucun endroit dans le texte le mot de « discrétion ». Pourquoi alors employer ce terme et comment Isaïe 42 et Matthieu 11-12 le laissent entendre, sans l’employer ? D’autre part, la violence des propos de Jésus, sa parole d’enseignement et d’autorité – qui se présente comme un discours public –, les prétentions qu’il manifeste, notamment en ce qui concerne le jugement et la place des nations, semblent aller à l’encontre de cette figure d’un Messie discret, en train de s’accomplir. Ces contradictions et ces tensions invitent donc à affiner la place et l’enjeu que la discrétion peut porter. La question est alors double : peut-on parler, en Matthieu 11-12, d’une christologie de la discrétion, et de quelle discrétion s’agit-il ? Une christologie qui met en œuvre deux questions conjointes : d’une part, comment Jésus est-il Christ et d’autre part, comment allons-nous le reconnaître comme Christ ?

De quelle discrétion s’agit-il ?

Le mot de « discrétion » n’existe donc pas dans le texte de Matthieu. L’évangéliste ne l’emploie pas. Nulle part, il n’indique explicitement que Jésus se soit montré « discret » ou que la « discrétion » soit ici une de ses caractéristiques. Mais, si Matthieu n’emploie pas le mot, on peut dire en revanche qu’il raconte la discrétion de Jésus comme étant, justement, celle du Messie, en insérant notamment dans le récit la citation d’accomplissement d’Isaïe. C’est dans le travail de la lecture et de l’interprétation du récit de Matthieu que surgit pour nous aujourd’hui le signe de la discrétion du Messie. Cela nous entraîne à cerner cette « discrétion » selon deux axes. D’une part, quel sens peut recouvrir le mot de « discrétion » pour les lecteurs que nous sommes ? D’autre part, comment Matthieu lui-même raconte et donne à voir une « discrétion » du Messie ? Quel est le contenu de cette discrétion qui apparaît dans le récit ?

Discrétion – Discernement – Pouvoir de décider

Le mot possède plusieurs sens et donc il y a des manières différentes de comprendre la « discrétion ». Selon le Petit Larousse: d’une part, il désigne « l’attitude de quelqu’un qui ne veut pas s’imposer », d’autre part le « caractère de ce qui n’attire pas l’attention ». Quand Matthieu cite Isaïe 42 et parle du Serviteur dont « on n’entend pas la voix », s’agit-il d’une attitude voulue par le Serviteur ou d’un état de fait observé ? S’agit-il du constat que le Serviteur n’est pas entendu ou bien d’une volonté chez lui de ne pas se faire entendre ni remarquer ? Un troisième sens du mot « discrétion » est indiqué par le Petit Larousse comme « aptitude à garder un secret ». Ce sens nous rapproche d’autres termes liés à la discrétion : le silence, le secret. La « discrétion » que Matthieu indique à propos du Serviteur a-t-elle quelque rapport, par exemple, avec le « secret messianique » de Marc ? Jésus, en Mt 11-12, ferait-il preuve d’un certain « silence » sur son identité de Messie ? Enfin, un dernier sens est donné par le Petit Larousse, et beaucoup plus développé dans le Petit Robert. Il s’agit du sens premier du mot « discrétion » : « discernement, pouvoir de décider ». Laisser quelque chose à la discrétion d’une personne, c’est lui laisser le soin de discerner et de décider. La question de la reconnaissance de Jésus comme Christ et de la manière dont lui-même se donne à reconnaître, qui traverse ces deux chapitres, recouvre les deux directions du mot « discrétion » comme « attitude de quelqu’un qui ne veut pas s’imposer » et comme « discernement, pouvoir de décider » laissé aux interlocuteurs, à ceux qui « voient et entendent ». A travers ces différentes nuances du mot « discrétion », on peut ainsi percevoir la richesse de sens qui s’y attache, mais aussi les questions qu’elle laisse ouvertes. Au regard de ces sens et de ces nuances, comment Matthieu raconte-t-il la "discrétion" de Jésus, et plus encore du Messie en Jésus ?

Matthieu 11, 2-6

2 Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des oeuvres du Christ. Il lui envoya demander par ses disciples : 3 " Es-tu "Celui qui doit venir " ou devons-nous en attendre un autre ? " 4 Jésus leur répondit : " Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : 5 les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres; 6 et heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi!"

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