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Le Caravage, "Appel de saint Mathieu" - Détail.

Cheminer en carême avec le "Messie discret" dans l’évangile de Matthieu. (Etape 4)

Par sœur Adeline Marc, Carmélite de st Joseph.

La discrétion face au rejet et à la violence

Matthieu 12,22-25a.28.30

« Alors, on amena à Jésus un possédé aveugle et muet ; il le guérit, en sorte que le muet parlait et voyait. Bouleversées, toutes les foules disaient : « Celui-ci n’est-il pas le fils de David ? » mais les Pharisiens, entendant cela, dirent : Celui-ci ne chasse les damons que par Béelzéboul, le chef des démons. » Connaissant leurs pensées, il leur dit : « (…) Si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, alors le règne de Dieu vient de vous atteindre. (…) Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui ne rassemble pas avec moi, disperse. »

Face à la violence, l’appel au discernement

La question qui travaille la communauté de l’Evangéliste Matthieu est celle du rejet du message chrétien par une partie d’Israël et de l’ouverture aux nations. Matthieu 11-12 déploie donc une réponse à cette question communautaire en mettant en œuvre une compréhension de l’itinéraire de Jésus, où la discrétion trouve sa place. D’un bout à l’autre de Mt 11-12, la violence et le rejet de Jésus augmentent, en particulier à travers les Pharisiens et le projet, pour la première fois formulé dans l’évangile – après Hérode –, de faire mourir Jésus. Mt 11-12 marque le tournant d’un appel de Jésus à se décider (11,6 ; 12,30) mais aussi celui de la révélation d’une opposition de plus en plus violente. Jésus semble emboîter le pas à la violence des Pharisiens, et son discours se fait plus vigoureux lorsqu’il dénonce les Pharisiens (« engeance de vipères », « génération mauvaise et adultère »). L’autorité de la parole de Jésus, sa vigueur, voire même sa violence, tranchent avec le portrait du Serviteur discret et miséricordieux décrit par le prophète Isaïe. Cela nous permet de souligner que la discrétion évoquée par Isaïe est d’abord celle du Serviteur dont Dieu annonce qu’il est l’élu. De même, l’Evangile de Matthieu ne cherche pas d’abord à dresser le tableau d’un Jésus discret mais à signifier en lui, à travers son agir et sa parole, la discrétion de son identité messianique. Matthieu raconte la discrétion du Messie en Jésus comme celle du Serviteur, élu de Dieu, sur qui repose l’Esprit, mais qui ne fait pas entendre sa voix sur les places. La question demeure bien celle de la reconnaissance de l’identité messianique de Jésus. Cette identité est une énigme que seul le Père peut lever, mais elle se donne aussi à voir et à entendre à travers le discernement de l’aujourd’hui du Royaume, mis en relation aux Ecritures. Elle pose donc les conditions d’un accueil ou d’un rejet. C’est bien parce que le Messie se fait discret en Jésus qu’il en vient à être rejeté. Les Pharisiens personnifient ici la figure des opposants : la violence de la réaction de Jésus est à proportion de celle des Pharisiens. Les paroles les plus dures de Jésus interviennent en effet après la décision des Pharisiens de faire le mourir. Matthieu, après cette décision, nous décrit en fait deux attitudes successives de Jésus. En 12,15 Jésus se retire de la polémique et prend acte du rejet dont il fait l’objet. Mais en 12,24 les Pharisiens reviennent, pour ainsi dire, à la charge. Jésus non seulement ne se dérobe pas, mais accentue la vigueur de son appel et l’urgence du discernement, devant l’endurcissement dont témoignent ses opposants. Symboliquement, Jésus guérit alors un aveugle, sourd et muet (Mt 12,22). A travers ce récit, Matthieu présente Jésus comme seul capable de sortir les Pharisiens de leur aveuglement. Le discours, même violent, qu’il leur adresse n’en demeure pas moins l’ultime appel à entrer dans un nécessaire discernement. Le recours au jugement souligne l’enjeu et l’urgence du discernement, en même temps qu’il signifie l’impossible demi-mesure dans la décision. La violence du discours de Jésus n’est pas une condamnation immédiate mais, au contraire, cherche à convaincre. Il demeure appel ouvert et renvoie les Pharisiens à la gravité du discernement qu’ils ont à opérer. Les Pharisiens semblent bien avoir perçu la gravité de l’enjeu puisque plus loin, ils demandent à Jésus un signe (12,38). Mais la réponse de Jésus demeure dans la ligne de la discrétion du Serviteur : elle implique pour chacun l’engagement d’une décision libre et l’effort de tendre l’oreille à celui qui ne parle pas fort.

Pourquoi un tel rejet ?

Cela n’est pas clairement indiqué par Matthieu. Mais on peut relever que les paroles de Jésus sur le sabbat ont sans doute provoqué un séisme. Tout au long des chapitres 11 et 12, le Jésus de Matthieu déplace les frontières entre Israël et les nations, remettent en cause les frontières de l’identité d’Israël, séparé des nations : le sabbat (temps) et le Temple (lieu)… Le discours de Jésus bouleverse l’ordre de séparation d’Israël et des Nations : miracles qui font surgir l’urgence de la conversion devant le temps nouveau ; ouverture à la révélation du Père distinguant deux groupes nouveaux, les « sages et intelligents » et « les petits » ; appel du Sauveur adressé à des individus... Dans le surgissement du Royaume en Jésus, disant une réalité radicalement nouvelle, « plus grande » que Jonas prêchant à Ninive ou que Salomon accueillant la Reine du Midi, c’est la rencontre d’Israël et des nations qui est rendue possible et annoncée. Celle-ci est cependant portée avec discrétion par Jésus. En effet, ce n’est qu’à la fin de l’évangile que la communauté des disciples sera explicitement envoyée aux nations.

Un pas vers la reconnaissance de l’identité de Jésus

La communauté de Matthieu, affrontée à l’échec de la prédication en Israël et à la question de l’ouverture aux nations, relit donc dans l’itinéraire de Jésus celui du Serviteur annonçant le « jugement aux nations ». Question nouvelle des premières communautés chrétiennes, l’ouverture de la prédication aux nations appartient bel et bien à l’identité messianique de Jésus et peut se lire discrètement dans son itinéraire. Matthieu relit aussi le refus et le rejet par Israël de son Messie dans la figure du Serviteur discret. La discrétion du Messie en Jésus l’expose au rejet violent des Pharisiens. Elle n’est pas seulement un état de fait « malheureux » mais appartient à l’identité même de Jésus. Jésus renvoie à la parole de l’Esprit (12,28) et du Père (11,25-27 ; 12,50) qui dessinent, au-delà des frontières d’Israël – mais aussi à travers elles –, une communauté des « petits », ouverts à la révélation du Père, et de « frères » , « faisant la volonté du Père ». La reconnaissance de son identité n’est pas objet de « savoir » mais d’expérience, où le Serviteur qui ne parle pas fort appelle pourtant à discerner ce qui est vu et entendu discrètement dans l’expérience que ses interlocuteurs font de lui. Pour le lecteur, qui, à l’image de Jean-Baptiste, n’est plus le témoin direct des paroles et des gestes de Jésus, c’est dans la mise en relation du récit de Jésus et de l’Ecriture que se donne à reconnaître l’identité messianique de Jésus.

Mt 11,7-15

Jésus se mit à parler de Jean aux foules : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? Un roseau agité par le vent ? (…) Un prophète ? Oui, je vous le déclare, et plus qu’un prophète. (…) En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en n’est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant, le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu’à présent, le Royaume des cieux est assailli avec violence ; ce sont des violents s’en emparent. Tous les prophètes, en effet, ainsi que la Loi, ont prophétisé jusqu’à Jean. C’est lui, si vous voulez bien comprendre, cet Elie qui doit revenir. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »

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