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Photos : Monastères du Wadi Natrun, Egypte.

Vivre le Carême avec la Samaritaine,
dans la tradition du Carmel (Etape 4)

Par Sr Frédérique Oltra

Eveiller la mémoire
pour écouter la "voix de fin silence"

Que fait Jésus avec la Samaritaine sinon éveiller sa mémoire pour lui donner de traverser les "Samaries" de sa vie ? Il lui donne, à travers questions déroutantes et réponses balbutiantes, de se reconnaître vraiment, de trier, de peser, de mettre en ordre ; il lui donne d’interpréter : de ressaisir son passé, de l’arracher au chaos, à l’éparpillement... Peu à peu se construit en elle une mémoire spirituelle : elle peut entreprendre le nécessaire travail de guérison, traverser les moments négateurs de sa vie sous un autre regard, laisser émerger les lieux de plénitude et de révélation où déjà s’édifie sa liberté...

Il me semble que nous pouvons accompagner ce travail de relecture, si souvent demandé par nos contemporains de manière "prophétique", en ce sens qu’il nous faut dénoncer les ténèbres et éveiller à la douce lumière de notre Dieu. Dans le dialogue d’accompagnement, dans le mouvement de la prière contemplative, dans l’écoute de la "voix de fin silence" de l’Esprit, dans cette polyphonie entre l’Ecriture et la vie, nous pouvons ouvrir, avec d’autres, pour eux, la porte du pardon et de l’espérance, la porte de la conversion.

Et il arrive parfois, comme une grâce, que tel ou tel espace communautaire de relecture, de discernement, de supplication ou d’action de grâce devienne le lieu où, ensemble, nous traversons nos "Samaries"... Que cette expérience fondatrice soit largement ouverte à d’autres ! Déjà Jean de la Croix en soulignait l’absolue nécessité :

"Chacun reçoit crédit de la bouche de l’autre.
L’âme humble, en effet, a cela de propre qu’elle n’entreprend pas
de traiter avec Dieu par elle seule et qu’elle ne peut se satisfaire
sans la conduite et le conseil humains.
Et Dieu le veut ainsi, parce qu’il est avec ceux qui s’assemblent
pour savoir la vérité afin de l’éclaircir et de la confirmer en eux,
appuyée sur la raison naturelle.
C’est pourquoi il dit aussi dans l’Evangile :
'Là où deux ou trois seront rassemblés en mon nom,
je suis au milieu d’eux'.
C’est-à-dire éclaircissant et établissant en leurs cœurs
les vérités divines."
(2 Montée du Carmel 22,11)

A nous de donner à goûter la douceur de l’espérance

Je voudrais mettre en relief ce service de la communication de la douceur de Dieu à travers la 4ème strophe du Poème de Jean de la Croix "Sans appui et pourtant appuyé", strophe que Thérèse de l’Enfant-Jésus aimait et citait souvent : je vous propose de l’entendre en mettant ces paroles dans la bouche même de la femme de Samarie... dans notre propre bouche...

"Voici l’œuvre qu’opère l’amour
Depuis que je le connais :
Que s’il trouve bien ou mal en moi,
Tout devient même saveur,
Et mon âme en soi il transforme.
Dans sa flamme savoureuse
Que je sens ainsi brûler en moi,
Vite et sans que rien ne reste
Je vais me consumant tout entier."

Envoyés pour la mission

Ce récit de la rencontre de Jésus avec la femme de Samarie ne s’achève pas à l’oratoire, auprès du puits, dans un seul à seul amoureux ! Il s’ouvre dans la mission : par "la douceur" de la parole de Dieu "qui a si bien pris feu dans son cœur, elle quitte le Seigneur lui-même pour le gain et profit de ceux de sa ville" (Thérèse de Jésus, Pensées sur l’amour de Dieu, 7,6).

Cette femme de Samarie, comme chacun d’entre nous, a bénéficié d’une rencontre personnelle et vivante avec Jésus. Elle n’est pas au bout de son chemin : elle le commence à peine, elle ne sait pas très bien ce qui s’est passé en elle, ni où ses pas la mèneront... Elle sait seulement que quelque chose s’est ouvert dans son cœur : "une source jaillissant en vie éternelle" (Jn 4,14). Cette source, c’est l’immense tendresse de notre Dieu, la charité du Christ vivant en nous et qui veut se répandre en abondance sur tous les humains.

Comment sommes-nous envoyés en mission ?
Certainement à partir de la source : une source qui n’est pas notre propriété personnelle mais que nous entendons chanter dans le cœur des frères et sœurs rencontrés, les plus proches dans nos communautés, ceux du dehors à nos portes et les lointains, comme aimait à le dire Thérèse de l’Enfant-Jésus.

Comme la Samaritaine qui commence là son chemin, "efforçons aussi de toujours commencer" : nous demeurons dans le courant vivifiant de la source et, dans le consentement de notre liberté amoureuse, nous nous laissons toujours, chaque jour, emporter… Nous demeurons dans la condition paradoxale du témoin de la Bonne Nouvelle, fragiles et assurés : riches d’une expérience étonnante et bouleversante mais vulnérables, toujours, en plein questionnement, dans l’émerveillement des premiers temps : "Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait – qui m’a révélé qui je suis. Ne serait-il pas le Christ ?" (Jn 4, 29).

Le récit, très discret, de son expérience et cette simple question suffisent à mettre en marche ses compatriotes. Nous allons, comme elle, voyageurs sans bagages, témoins de sources… Si nous n’avons pas cette audace de pauvres, comment d’autres feront-ils le chemin jusqu’au puits d’eau vive, à l’intime d’eux-mêmes ?

Ainsi, par notre geste missionnaire, quelles qu’en soient les modalités, nous ouvrons la route, nous laissons libre l’espace pour la rencontre personnelle et vivante avec le Christ : "Beaucoup de Samaritains de cette ville avaient cru en lui à cause de la parole de la femme. Bien plus nombreux encore furent ceux qui crurent à cause de sa parole à lui ; et ils disaient à la femme : 'Ce n’est plus seulement à cause de tes dires que nous croyons ; nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde'." (Jn 4,39.41-42).

Nous voici nous-mêmes évangélisés par les hommes et les femmes vers qui nous sommes envoyés ! Leur confession de foi et leur émerveillement nous reconduisent à la source d’eau vive et nous font découvrir la profondeur du mystère que, seuls, nous n’avions fait qu’entrevoir... Comme la femme de Samarie, nous sommes renvoyés à la relation avec nos frères et sœurs en humanité, à ce qu’elle a de mouvant, d’imprévisible, pour rencontrer le Christ-Source, désormais caché dans le plus concret de nos liens humains.

"M’en allant, moi, mon Dieu, partout avec Toi,
Partout il en ira pour moi comme je veux pour Toi."
(Jean de la Croix, Dits de lumière et d’amour, 52)

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