Les ailes

« Artiste ou fou, je suis beaucoup des deux, je le sais bien. Comme un fardeau qui me ferait pousser des ailes » (Polo Tonka, Moi, le fou).
« Oui, tu es venu à mon secours : je crie de joie à l’ombre de tes ailes. » (Ps 62, 8)

Oui, des ailes, nous en avons besoin ! Vous êtes associés souvent au spirituel ; symbole de libération, de puissance, d’épanouissement, d’élan, de victoire, de rapidité et d’incorruptibilité, vous vous apparentez plutôt à un organe qu’à une chose. Cependant, vous ne vous refusez pas à la représentation, à la chosification. D’ailleurs, en tant que symbole, c’est uniquement ainsi que vous êtes visibles. Les oiseaux, les volailles, certains insectes comme les papillons, ont des ailes ; il y a même des poissons qu’on dit « ailés ». Mais, à ce que je sache, personne n’a jamais vu par exemple un être humain ou un cheval avec des ailes. Et pourtant, c’est lorsqu’on vous attribue à de tels êtres, à des êtres qui ne peuvent naturellement avoir d’ailes, que se révèle votre essence. C’est comme lorsqu’on dit de Dieu qu’il a des mains et des yeux, qu’il a des oreilles et des entrailles. En a-t-il vraiment ? Nous n’en savons rien, mais nous savons, ou du moins nous avons entendu dire, qu’il est à l’œuvre, qu’il veille, qu’il recueille en lui nos mots et nos prières, qu’il a de la compassion.

L’homme donc n’a pas d’ailes, mais s’il a eu l’audace de s’en attribuer, deux, quatre, six ou plus, s’il s’est représenté des créatures tels les anges, qui ne sont que des êtres humains dotés d’ailes, c’est qu’il a jugé que c’est le terme le plus adéquat pour décrire certaines de ses expériences : l’annonce d’une fécondité ; la sérénité lors du trépas ; porter son fardeau, se mettre debout et marcher, alors que ce même fardeau, jusqu’à il n’y pas longtemps, nous paralysait ; aimer… Je ne sais pas pourquoi j’ai autant tardé à évoquer ce mot : aimer.

Insister à faire de vous le symbole de la libération, de la puissance, de la victoire, etc., c’est en quelque sorte vous trahir et camoufler le lieu où vous plantez vos racines. Pardonnez-nous notre pudicité ; il n’est pas évident pour nous de nommer l’amour, de nommer celui seul qui peut vous nourrir et vous faire pousser dans tous les lieux de notre vie. Le reconnaître, reconnaître l’amour, dans sa gratuité et dans sa simplicité, nous désarmerait, nous simplifierait, et, nous n’en voudrions pas, pas encore ; la complexité et l’illusion de pouvoir voler sans lui nous conviennent, nous protègent d’un abandon auquel nous ne sommes pas encore prêts.

Nous vous dessinons, nous vous imaginons, mais nous avons réellement peur de vous et de votre puissance parce que nous avons peur d’aimer et d’être aimés en vérité.

Détails de quatre œuvres de la collection Alana, du haut en bas et de gauche à droite : 
  • Vittore Carpaccio, Le Christ mort soutenu par deux anges
  • Maître des Dossali vénitiens, Diptyque avec des scènes de l’Enfance et de la Passion du Christ.
  • Nardo di Cione, Vierge et Ange de l’Annonciation
  • Maître de Pratovecchio, Retable : Vierge à l’Enfant en majesté avec deux anges, sainte Brigitte de Suède et saint Michel archange.

Un commentaire

  1. Merci Sr Ghada, à vous lire on a envie d’avoir des ailes… et même de s’envoler à tire-d’aile.
    Pour moi, la meilleure illustration de votre beau texte est ce sublime petit montage (sa 2e œuvre) de Michel Ocelot : « La légende du pauvre bossu ». Un petit bijou que je vous conseille de regarder sans modération. Une histoire de métamorphose et de résurrection.

Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.