Luc 24, 13-35

Avec l’humour et le réalisme à la belge qui le caractérisaient, Monseigneur Danneels disait des deux disciples d’Emmaüs – dont on choisissait trop souvent le texte à ses yeux – : « Les pauvres, ils doivent avoir les semelles de leurs souliers complètement usées… ».

Emmaüs © Arcabas

Comme la liturgie a choisi pour nous, laissons le texte résonner dans notre quotidien toujours nouveau. Devant nos yeux, deux hommes font l’expérience d’une rencontre avec le Ressuscité ! Expérience qui suppose un déploiement dans le temps, un cheminement, une conversion signifiée par un aller-retour physique (Jérusalem-Emmaüs ; Emmaüs-Jérusalem !) mais surtout spirituel (une migration).
Tout se déploie entre un aveuglement (« leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » v 16) et une re-connaissance (« Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent » v 31). Comment s’y prend Jésus pour qu’advienne la rencontre ?
Le point de départ semble celui d’une discussion en vase clos : deux disciples du cercle plus élargi des douze tournent le dos à Jérusalem (Lc 24, 13), laissant derrière eux la communauté des « onze et tous les autres » (v 9). Le narrateur met le focus sur cette discussion en cercle fermé : « deux d’entre eux » (v 13), « ils conversaient entre eux de tout ce qui était arrivé » (v 14), « ils conversaient et discutaient ensemble » (v 15). Le sujet de la discussion est connu du lecteur : « tout ce qui est arrivé », renvoyant à la « mise à mort de Jésus, le Nazarénien, prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple » (v 19). L’échange s’avère stérile, enfermant. C’est l’enfermement de la désespérance dont nous ne sortons que par l’advenue d’une présence autre…
Et cet inespéré advient (aux yeux du lecteur du moins) car « Jésus en personne s’approche et fait route avec eux » (v 15). Il s’approche…. On croit le voir, à petit pas, en toute discrétion. Tout sauf nous surplomber du haut de sa résurrection ! Avant de leur adresser la parole, il marche avec eux…. L’homme qui marche à nos côtés, quand bien même nos yeux sont empêchés de le reconnaître…
Puis vient le moment d’une question qui se risque : « Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant ? ». L’interrogation a mis le doigt sur un sujet sensible (« Ils s’arrêtèrent le visage sombre » v 17) suscitant presque le reproche (« Tu es bien le seul à ignorer… »).
Une seconde et très brève question (« quoi donc ? ») ouvre en réalité un large espace de parole aux deux disciples, leur donnant de passer de la discussion au récit à un autre, du vécu les rendant « si sombres ».

Arcabas « Emmaüs »

Etonnement, ils parlent en « nous » (v 21, 22, 24). Pas d’évocation d’une expérience singulière avec Jésus. Ils semblent comme à l’extérieur de ce qui a frappé le peuple (v 19). Et ils sont à la merci d’un pouvoir qui les dépasse (« nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié » v 20), les laissant dans la désespérance (« Nous espérions, nous, que c’était lui qui allait délivrer Israël ; mais avec tout cela, voilà le troisième jour depuis que ces choses sont arrivées ! « v 21).
Par une mise en lumière de leur manque de foi (v 25), l’homme qui marche à leurs côtés relit et relie leur vécu à l’Ecriture, toute l’Ecriture. Puis il fait mine de partir, en mendiant d’un « Reste avec nous car le soir tombe ». Oui, le soir tombe quand nous nous enfermons dans la désespérance, quand nous nous éloignons de l’Ecriture, médiation par excellence pour s’ouvrir à l’Autre qui se tient entre nous. Reste avec nous ! Celui qui aima les siens qui étaient dans le monde y consent, dans la chair (24, 39), définitivement, se mettant « à table avec eux…il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent… » (v 30). Il serait sans doute faussement réducteur d’attribuer cette reconnaissance au seul pain rompu. Car l’accueil de ce don suppose ce qui le précède : « Expérience inouïe proposée à tout croyant : un Dieu qui, subrepticement, se glisse dans la rencontre humaine et qui, à travers l’autre, accueille celles et ceux qui Lui parlent en se parlant, se fait proche d’eux, se fait finalement désirer pour un repas du soir, l’occasion d’une humble convivialité pour leur offrir dans la lenteur des détours, le don de sa Résurrection » (Marie-Jo Thiel, Au clair-obscur du monde de la santé).

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