Matthieu 16, 21-27

L’OFFRANDE DE SOI
Matthieu insiste sur l’identité de Jésus, et en particulier sur son identité de « Christ » : « Tu es le Christ » (v.16) ; « … ne dire à personne que c’était lui le Christ » (v.20) ; « À partir de ce moment, Jésus Christ… » (v.21) ; et c’est sur son identité de messie souffrant qu’insiste Jésus et que Pierre refuse après avoir confessé tout haut son identité de Messie et de Fils de Dieu. C’est d’ailleurs à part, en tête à tête, qu’il le rabroue. Pierre semble avoir peur, non pas pour Jésus mais pour lui, car si Jésus inaugure ce chemin de la souffrance, lui n’est pas prêt à souffrir et il se défend, il veut sauver sa peau.
Ne pas avoir envie de souffrir, c’est normal ! Les moines de Tibhirine (dans le film de Xavier Beauvois « Des hommes et des dieux ») nous balisent ce chemin d’acceptation et de patience dans lequel Dieu se révèle, par la prière et le dialogue entre frères. Jésus notre compagnon de route changera notre peur de souffrir et de mourir en confiance et en courage de marcher avec Lui. Il nous faut passer par toutes les épreuves de l’existence pour avoir part à la gloire de Dieu. L’incompréhension de Pierre, comme la nôtre, jalonne notre chemin humain, parfois facile, parfois difficile, fait de montées et de descentes, de joie et de peine. Jésus ne propose ni la mort en soi, ni la gloire en soi, il invite à ce passage de l’une à l’autre leur ouvrant, à travers leur chemin humain de souffrances et de croix, une délivrance : la résurrection, trouver sa vie, voir le Fils de l’homme venir dans sa gloire. D’ailleurs, et ce dans les trois synoptiques, l’annonce de la Passion encadre la Transfiguration (la gloire divine rendue visible sur terre). Marcher à la suite de Jésus, c’est oser la traversée.
© Communauté de St Martin Belle Roche CSJ

Dans la vie de Jésus, souffrance et gloire font alliance, lui-même nous parle de « perdre sa vie » et de « porter sa croix », car il n’y a pas de vie possible ni de résurrection avec lui sans passer par là. Pour le disciple, il n’y a pas d’échappatoire. « Perdre » et « porter » sont ici les clés de la vie en Christ et de notre propre destinée. Dans nos épreuves personnelles comme dans celles du monde, Jésus nous le redit et sa parole nous y pousse quotidiennement : accueillir le réel tel qu’il vient non tel que je l’imagine, sans le contourner ni le refuser, se quitter et quitter ce que je voudrais pour attendre de Dieu, par ses médiations, ce qu’il attend de moi, ce qu’il me demande. Suivre Jésus, c’est accepter de perdre, de tout perdre et même de se perdre pour l’amour d’un Autre : « Ton amour vaut mieux que la vie » (Ps 62). Se détourner de sa propre satisfaction pour s’ouvrir au bon plaisir de Dieu. Ce mouvement est impossible à comprendre sur un plan humain, les pensées de Pierre sont humaines. Il y a beaucoup d’expression qui disent ce chemin de perte et de dépossession, en premier lieu, de son propre ego « mourir » à soi-même, « renoncer » à soi, à ses propres plaisirs, c’est descendre comme Jésus descend jusque dans la mort et en remonte à sa résurrection.

La croix de Jésus est sa confession d’amour au Père, c’est l’accomplissement de cet amour qui va provoquer la violence et l’intolérance. Chaque disciple est un ennemi potentiel qui s’oppose à l’amour de Dieu, ne pas se laisser embêter par cet obstacle. C’est vrai que traiter Pierre de « Satan », c’est fort. Le diable est le père du mensonge et le diviseur…  c’est une invitation pour le disciple à vivre dans la vérité, l’unification de son être et la communion. La remontrance de Jésus à Pierre est un appel à se remettre dans le bon sens de l’évangile, à la suite du Christ, car au final, l’amour l’emporte, par la confiance en soi, en l’autre, au Tout autre. « Ta parole est vérité et la loi délivrance ».
Jésus ne demande pas aux disciples de porter « sa » croix, mais de porter chacun la leur. Pour chacun, Dieu taille une croix à notre mesure, la porter c’est la vivre en Dieu pour mieux vivre et qu’elle suscite en nous une réponse d’amour. Nous ne possédons pas notre vie, elle est don et ce que nous vivons et faisons d’elle est grâce, Dieu me conduit sur ce chemin pour me sauver de mon orgueil, de moi-même. Les simples de Dieu, les « anawims » en marchant sur cette voie, nous montrent que le chemin est possible. Nous sommes appelés à y entrer avec liberté et confiance pour reprendre à notre compte « ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Cf. Jn 10,18).
Il serait intéressant de se demander pour aujourd’hui et pour moi quelle est « ma » croix à porter ? ne serait-ce pas mon réel ? mes limites ? Et il n’y a que Dieu pour nous donner du souffle, on ne peut lire ce « porter sa croix » sans entendre aussi « le joug et le fardeau léger » puisque partagé par celui qui est « doux et humble de cœur » (Cf. Mt 11,28-30). Jésus découvre, d’abord pour lui-même ce qu’expérimente le prophète Jérémie, que la puissance d’aimer l’emporte sur la croix à porter, ou plutôt que c’est cet Amour qui la soulève. Il s’agit d’abord d’ouvrir son cœur, de se laisser aimer profondément, totalement (cœur et os brûlés, Cf. Jr 20), jusqu’au bout et ouvrir son cœur à un amour dévorant, dans un acte total de volonté libre.
C’est cette force-là qui nous conduit dans les œuvres bonnes à faire et la volonté de Dieu, notre nouvelle vie est là, en Lui. Discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon et qui est capable de lui plaire (Rm 12,1-2) pour contrer nos penchants égoïstes ou limités comme Pierre à qui Jésus reproche d’avoir des pensées humaines et non celles de Dieu.
Poser des œuvres bonnes, faire ce qui est bon, ce que Dieu veut et il veut toujours le meilleur pour nous. C’est aussi se tourner vers les autres en se demandant que puis-je faire pour alléger leur souffrance. Porter sa croix revient alors à alléger la croix des autres, prier en son cœur que cela ne leur arrive pas, qu’ils ne souffrent pas. Tout ce que je peux faire pour adoucir une souffrance, une détresse est à faire. « Heureux, dès à présent, les morts qui meurent dans le Seigneur. Oui, dit l’Esprit, qu’ils se reposent de leurs peines, car leurs œuvres les suivent ! » (Ap 14,13).
La mise en garde de Jésus et des conditions pour devenir son disciple est un réquisitoire contre le faire seul, le repli sur soi, la solitude mortifère (sans ami et sans Dieu). Avec Jésus, il s’agit de laisser un autre faire en soi, de laisser la parole de feu brûler son cœur et ses os (Cf. Jr 20), ouvrir son intimité au tout Autre en attachant son âme à Dieu et se laisser soutenir et conduire (Cf. Ps 62). Il s’agit de s’offrir à Dieu selon saint Paul dans la deuxième lecture de ce dimanche (Cf. Rm 12) dans une ouverture du cœur qui postule toujours une croix, il y a toujours de la souffrance dans l’amour : « Nous adorons ta Croix, Seigneur, et nous louons et glorifions ta sainte résurrection : voici qu’à cause du bois de la Croix, la joie est venue dans le monde entier ». C’est ainsi que nous devenons offrande.

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